Chapitre 38 : Vivre
-Thalye...
Bientôt deux mois s'étaient écoulés depuis ce tragique jour qui avait figé le temps, tout en l'accélérant. Sur le visage de Clio semblait s'être passé des années. Des rides s'étaient creusées, des poches noires s'étaient installées sous ses yeux, ses joues s'étaient émaciées et son teint était cadavérique. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même.
On lui avait ramené sa fille, ce jour-là, elle hurlait, le visage noyé de larmes, se débattait, ses paroles n'avaient aucun sens, il lui semblait ne savoir qu'hurler, encore et encore. Puis on lui avait expliqué, on lui avait annoncé, l'accident, son fils, sa fille témoin...
Elle le haïssait cet homme annonciateur de malheurs. Il n'y était pour rien, elle le savait, mais elle ne pouvait s'empêcher de le détester.
Tous les jours elle pleurait, et tous les jours elle se haïssait. Ce n'était pas elle la plus affectée. Thalye n'avait pas prononcé un mot depuis la mort de son frère, elle n'était pas sortie de sa chambre, et si personne n'était venu lui apporter ses repas, elle se serait laissée mourir de faim. Elle avait abandonné tout ce qui lui tenait à cœur. Sa fameuse pièce de théâtre n'avait jamais eu lieu, et son groupe s'était dissous depuis bien longtemps.
Mais malgré son manque de réaction, Clio tenait à ce qu'elle soit au courant des choses qui se passaient autour d'elle.
- Thalye, ton amie Loane a appelé...
Aucune réaction. Elle restait prostrée sur son lit.
- Elle demande de tes nouvelles. elle dit qu'elle passera dans la semaine.
La jeune muse s'enfonça les ongles dans la chair de ses bras. Là était et serait sa seule réaction.
- Comment va-t-elle ?
Andreïs n'osait même pas entrer dans la chambre de sa fille. La mort de son fils l'avait réellement bouleversé, et il ne voulait pas voir sa fille dans un état de dépression. C'était de la lâcheté, il le savait, mais il ne pouvait enlever les images de son esprit, d'elle, après l'accident. Pleurant. Thalye, sa fille, la joie de vivre incarnée, le sourire indécrochable sur ses lèvres. Il voulait la voir souriante, et il savait que derrière cette porte, elle ne l'était pas. Et il ne pouvait le supporter. Les seules nouvelles qu'il avait d'elle lui venait de sa femme. Et quelles nouvelles...
- Son état ne s'améliore pas. Mais voyons le bon côté des choses, il n'empire pas non plus.
S'il pouvait empirer... Thalye semblait avoir touché le fond. Rien ne pourrait être pire.
- Ne pleure pas...
Clio en avait assez de cette situation. C'était devenu trop dur pour elle, insupportable. C'était comme si elle avait perdu ses deux enfants, en même temps. Depuis leur plus tendre enfance, ils ne semblaient faire qu'un. Si l'un meurt, l'autre ne vit plus.
Elle ne pouvait s'empêcher de penser que c'était le prix à payer pour tout le bonheur qu'ils avaient eu toutes ces années. Depuis son adolescence, le traître ne s'était pas manifesté. Elle avait fini par l'oublier. Oublier d'avoir peur. Et voilà qu'il frappait de nouveau. Qui était le responsable sinon lui ? Personne ne roulait sur cette route, personne. Personne n'avait vu le visage du conducteur, qui avait pris la fuite.
Elle appuya son front sur celui de son mari.
- Je ne pleure pas...
Deux mois qu'elle n'avait quitté cette chambre. Elle n'en avait pas le courage, pas la force. Tout ce qu'elle arrivait à faire était rester sur son lit à pleurer, sans que ces maudites larmes ne veuillent s'arrêter de couler. Il lui semblait que toutes les larmes, toutes celles qu'elle n'avait pas pleuré durant son enfance, sortaient, enfin libres.
Deux mois. Il était temps de faire quelque chose, non ? De recommencer à bouger, à marcher, à affronter le monde extérieur.
Peur, elle avait peur. Peur qu'un flot de souvenirs déferle sur elle au moindre pas, au moindre endroit ou objet qu'elle verrait. Tout lui rappelait Calliste. Cette chambre lui rappelait Calliste. Mais après deux mois à vivre avec les souvenirs de cet endroit, elle avait fini par s'y habituer, non sans en pleurer chaque jour.
Elle avait envie de sortir, de voir les étoiles.
Eh Calliste, t'es là-haut, n'est-ce pas ? Dis-moi qu'après la mort, on rejoint ce spectacle magnifique qu'est la nuit étoilée. Dis-moi que quelque part, tu es là, et que je te vois en ce moment même, même si je ne peux pas te reconnaître.
T'es là-haut, hein ? T'es là-haut ? Et après ma mort, je viendrai, deviendrai l'étoile à tes côtés. Peut-être que nous ne formerons plus qu'un, plus qu'une étoile, la plus belle et la plus brillante de toutes.
Dis-moi...
Pourquoi je n'arrive pas à arrêter de pleurer ? Pourquoi tu me fais pleurer Calliste ? Toi qui aimais mon sourire... Tu aimes mes pleurs maintenant ? Moi je ne les aime pas. Refais-moi rire, s'il-te-plaît. Je veux rire, je veux sourire, j'aime rire. Je veux rire à nouveau. Je veux être avec toi à nouveau. Je veux rire avec toi, faire n'importe quoi avec toi, parler avec toi, être avec toi.
Pourquoi ta mort est-elle si réelle ?
AAAAAAAAAAAAAAAAAAH !
Va-t'en ! Va-t'en, tu n'es pas lui, tu n'es pas lui, il est dans la étoiles, va-t'en ! VA-T'EN ! Pourquoi viens-tu me torturer ? Qu'ai-je fait, je veux juste être heureuse...
Va-t'en...
- Thalye !
Elle ne dit rien, se contenta de sangloter sur l'épaule d'Hestia. Cette dernière passa des bras réconfortants derrière son dos, essaya de la calmer en lui parlant doucement. Personne ne savait et ne pouvait imaginer ce que la jeune fille vivait depuis la mort de son frère. Mais ses cris incessants en disaient long.
Hestia, de part son statut de spectatrice, était la moins affectée par ce drame. Elle savait qu'étant immortelle, une mort se produirait, c'était pour ça qu'elle était devenu spectatrice. Mais la peine et la détresse dans lesquelles ses proches étaient plongés l'affectait d'une toute autre manière. Elle voulait faire quelque chose pour cette pauvre gamine qu'elle avait fini par apprécier. Mais il n'y avait rien à faire.
Le traître avait visé juste en s'en prenant à Calliste. Chaque jour, la déesse déchue craignait que Thalye ne fasse une bêtise et que la lignée des muses ne s'arrête nette. Peut-être que l'adolescente en avait terriblement envie. Rejoindre son frère. Mais peut-être que son sens du devoir était plus fort qu'Hestia le pensait, et qu'elle ne restait en vie que pour donner naissance à la future muse.
- Il faut faire quelque chose pour ta fille.
- Je le sais bien... désespérait Clio. Mais quoi ? Et comment ? On a déjà tout essayé... Je n'arrive moi-même pas à m'en remettre, comment veux-tu qu'on puisse faire quelque chose pour elle ?
- Ce qu'il lui faut, c'est partir. Ne plus rester enfermée dans sa chambre, ni dans cette ville où tout lui rappelle son frère. Elle ne pourra jamais s'en remettre ici.
- Partir ?
Que voulait-elle dire par là ? Ils ne pouvaient pas... partir.
- Tu as toujours tes billets pour Champ-les Sims ?
Bien sûr qu'elle les avait toujours. Elle et Andreïs n'avaient jamais eu l'occasion de partir là-bas. Ils avaient voulu attendre que Calliste soit adulte, pour qu'il puisse s'occuper convenablement de la maison et de sa sœur, puis... puis...
- On en a que deux, Hestia. Et je ne suis pas sûre de vouloir faire un voyage maintenant. Pas dans ces circonstances.
- C'est le meilleur moment. Achète un troisième billet et partez. Une semaine, ce sera déjà bien assez. Quittez cette maison endeuillée, reposez-vous. Je ne vous demande pas d'oublier Calliste, ni sa mort. Seulement de penser à autre chose le temps d'un voyage.
Clio soupira, et se promit d'y penser.
On était heureux, non ? C'est parce qu'on était les deux. Toi ne pouvant te passer de moi, moi ne pouvant me passer de toi. Alors je fais comment, seule ? Comment je peux faire sans toi ? Comment je peux continuer à vivre, alors que toi non ? Pourquoi ai-je le droit de continuer cette aventure qu'est la vie, alors que toi... non ? C'est injuste. Pourquoi ce n'est pas moi qui suis morte ? Non... Ç'aurait été pareil, mais pour toi. Tu te serais posé les mêmes questions, tu aurais pleuré comme moi... Tu as besoin de moi et j'ai besoin de toi.
Reviens... Reviens. Reviens ! REVIENS ! Ne vois-tu pas que le cauchemar a assez duré ?
Reviens !
Les larmes coulent le long de mes joues, de nouveau. C'est toujours aussi douloureux, comme ce jour, ce maudit jour dont les images ne cessent de danser dans ma tête.
J'en ai assez ! ASSEZ ! Ne puis-je pas faire mon deuil en paix ? Pourquoi me tourmentez-vous, souvenirs ? Laissez-moi, laissez-moi !
On m'attrape par le bras, me tire. Non, Laissez-moi ici, laissez-moi dans cette pièce, avec cette photo, de nous heureux, laissez-moi, c'est ici que je veux pleurer désormais ! Nooooon !
La porte se ferme, on la verrouille. On ne l'ouvrira plus.
Qu'est-ce qu'ils cherchent à faire ? Pourquoi ont-ils verrouillé la porte de sa chambre, comme s'ils enfermaient son souvenir là-dedans, pour ne plus jamais l'ouvrir, l'oublier, le laisser dans le passé ? N'y a-t-il que moi pour penser encore à toi ? Pour encore te pleurer ? Est-ce une bonne chose ? Ou une mauvaise ? Je ne sais même plus. Ils ont l'air de passer à autre chose, eux, mais pas moi. Je n'arrive même pas à les haïr pour ça. Je pourrais pourtant. Ils n'ont pas à t'abandonner ainsi, à t'enfermer, à ne plus penser à toi. Pourtant j'ai l'impression qu'une fois de plus, c'est moi l'aberration. Je devrais moi aussi me tourner vers le futur, laisser le passé au passé, te laisser au passé...
Je m'écroule, mes jambes ne me retiennent plus. J'ai été trop longtemps debout aujourd'hui. Je ne suis plus habituée.
Je n'en peux plus. Je n'en peux plus... Je suis fatiguée. Si fatiguée...
~*~
Le grand départ. Elle n'irait pas. Elle ne le pouvait pas. Pourtant elle était prévue pour le voyage, elle avait son billet, ses valises préparées par sa mère. Il lui suffirait de grimper dans la voiture...
NON ! Pas la voiture. Elle n'irait pas. Pas dans la voiture. Pas dans cette chose.
Et puis... Champ-les-Sims ne l'intéressait pas. Qu'ils y aillent, qu'Hestia y aille à sa place, tiens.
- Plus tu grandis, plus tu es belle.
Te voilà toi. Tu as réussi à t'échapper de la chambre. Tu étais bien là-bas. C'était ce qu'il fallait au fond, pour moi. Cette chambre renferme trop de souvenirs, ça me tuerait. Et puis... ce n'est pas que je ne t'aime pas, au contraire, Calliste est tout pour moi, mais je ne sais plus qui tu es. Tu es son fantôme, lui, en chair et en os, ou son souvenir. Comment veux-tu que je t'aime si je ne sais pas qui tu es ?
- Tu ne vas pas avec eux ? Ils n'attendent que toi.
Je ne veux pas venir.
- Thalye... Il est temps que tu m'oublies maintenant. Il est temps que tu arrêtes de vouloir me voir.
C'est toi qui viens, pas moi qui te fais venir.
- Arrête de penser à moi, et à pleurer pour moi. Tu dois continuer à vivre.
Et si je ne veux pas ? Et si je veux te rejoindre ?
- Tu me rejoindras, Thalye. Mais pas maintenant. Tu dois vivre, et être heureuse. Tu as une mission, sœurette, tu te souviens ?
Mais je veux que tu sois là. Je veux que tu sois là pour cette muse à qui je devrais donner naissance. Je veux que tu sois son tonton, que tu joues avec elle, que tu lui racontes des histoires, et qu'elle te fasse des câlins. Je veux qu'elle t'aime.
- Ta mission, sœurette, c'est de vivre. Pour moi. Quand tu l'auras fait, tu pourras me rejoindre. Promis.
Dans les étoiles ?
- Nous deviendrons la plus brillante de toutes les étoiles.
- Vis.
Ne pars pas.
- Vis.
Ne me laisse pas.
- Vis.
Ne meurs pas.
Tu es parti. Tu m'as laissée. Tu es mort.
Vis.
- Attendez !
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Euh, sinon... joie ? :3
Et sinon, Thalye s'en "remet" en un chapitre, j'aurais pu faire durer le truc, mais j'en suis incapable, j'arrive pas bien à faire durer les actions et les situations :')