Chapitre 122 : But our bruises seem to surface
Euterpe n’était pas là, ce matin. Elle n’était pas dans sa chambre, ni assise derrière le canapé, comme elle avait eu l’habitude de le faire, surtout quand elle avait été enfant. Clara se souvenait bien, parfois, elle venait se joindre à elle et lui demandait ce qu’elle faisait. C’était une question bête, car la jeune fille savait ce que sa cousine faisait, elle faisait de la musique. Elle se souvenait aussi des fois où Aeson avait été là aussi, derrière ce canapé. Clara arrivait toujours en courant vers lui, et le prenait dans ses bras. Ils avaient toujours été inséparables. Tout du moins, jusqu’à la mort de l’un d’entre eux. Une maladie orpheline, on leur avait dit. Une maladie qui paralysait ses muscles pendant un effort. Une maladie qui s'était déclenchée et développée trop rapidement.
Et Euterpe, Euterpe ne faisait plus de musique. Clara l’avait bien remarqué, sa cousine n’avait pas touché à son violon depuis leur arrivée. Elle n’avait pas entendu la moindre mélodie non plus, seulement le silence. Quand ils étaient petits, la maison de leurs grand-parents était toujours emplie d’une douce musique, quand Euterpe était présente. Elle avait dépoussiéré le magnifique piano à queue que personne n’avait touché depuis des années, et plus tard, quand elle avait commencé le violon, elle avait présenté ses propres œuvres à sa famille, fière. Mais désormais, il n’y avait plus rien. Euterpe avait beau faire semblant que tout allait bien, Clara voyait bien qu’il en était tout autre. Sa cousine avait toujours été un peu distante, préférant sa musique aux gens, mais son comportement actuel n’était pas normal. Elle avait bien compris que si elle acceptait de laisser Polymnie être loin d’elle, c’était parce qu’elle le voulait. Et puis elle ne jouait plus de musique. Et ça, c’était le signe qu’Euterpe allait mal.
Elle avait voulu lui en parler la veille, mais les préparatifs du réveillon avaient mobilisé tout le monde et il lui avait été impossible de prendre sa cousine à part. Elle avait espéré pouvoir la voir ce matin, au calme, mais elle ne l’avait trouvée nulle part. Elle était sûrement encore une fois dehors, mais quelque chose ne collait pas. Normalement, Euterpe sortait s’isoler à la nuit tombée, pas de grand matin.
Dans le salon, elle trouva son oncle Ludovic, déjà réveillé, qui lisait une histoire à Polymnie, tranquillement installés sur une couverture auprès du feu. Sacha était déjà dans sa cuisine en train de préparer le repas du midi, qu’elle disait être aussi important que le repas du réveillon et le reste de la maisonnée dormait encore. Près du sapin gisaient les cadavres de papier cadeau qu’on avait éventré pour pouvoir révéler ce qu’ils avaient voulu cacher. Les enfants avaient été gâtés. Clara se demandait même comment elle pourrait ramener autant de jouets chez elle.
- Ludovic ? appela-t-elle doucement.
Il interrompit sa lecture, surprenant la petite Polymnie qui releva vers lui un regard contrarié, et, reconnaissant sa nièce, sourit.
- Oui, Clara ?
- Est-ce que tu sais où est Euterpe ? demanda-t-elle.
- Dans sa chambre, non ? supposa-t-il.
- Justement, non. Elle est sûrement dehors, mais je ne sais pas où elle va dans ces cas-là, tu ne saurais pas, par hasard ?
Le regard de son oncle s’assombrit légèrement, et Clara ne sut quoi en déduire.
- Je ne sais pas, elle ne me l’a pas dit, désolé…
- Pas grave, le rassura-t-elle d’un sourire.
Elle s’était bien douté que Ludovic ne saurait rien des agissements d’Euterpe, mais elle avait tout de même voulu essayer. Elle se prépara alors à sortir, bien décidée à la trouver, quand bien même elle ne savait pas où la chercher. Par chance, le temps était clair, elle avait alors plus de chance de la voir au loin.
Elle sortit.
Euterpe était à cette même place, celle où elle se retrouvait tous les soirs. Cette fois-ci, elle se sentait prête, alors elle avait pris avec elle des feuilles de musique et un crayon. Elle avait écouté le silence si longtemps depuis son arrivée ici qu’elle pensait être capable de le transformer en notes. C’était quelque chose qu’elle aurait aimé faire la nuit, pour coller à toutes ses sorties précédentes, mais il lui était impossible de rédiger, la nuit. Alors tant pis, elle le ferait de jour. Le jour de Noël lui semblait être un jour parfait. Elle ne savait pas réellement pourquoi, mais elle avait cette impression.
Le silence était un peu différent, de jour. Il avait plus de nuances, mais n’en était pas moins beau. Elle nota la première note sur sa feuille.
Mais ce qu’elle avait oublié de prendre en compte, c’était qu’elle n’avait pas composé depuis longtemps, trop longtemps. Depuis sa séparation avec Hector et son échec cuisant au championnat, qu’elle était pourtant partie pour le gagner haut la main, étant la muse de la musique elle-même, elle n’avait rien pu écrire. Pas même deux notes qui puissent se suivre mélodieusement. Chaque tentative se soldait par un échec. Et même si elle s’était débarrassée de beaucoup de ses démons, même si elle avait trouvé quelqu’un qui croyait en elle et sa musique, même si elle était parvenue à se réconcilier un peu avec son violon, la composition ne pourrait lui revenir si facilement.
C’était la raison pour laquelle elle se retrouva bloquée, à cette deuxième note que son crayon ne voulait pas tracer. Elle ferma les yeux, essayant de garder son calme, de ne pas paniquer, ni s’emporter, sa main commença à trembler, doucement, puis de plus en plus, de frustration, de colère, de tristesse, elle avait pourtant écouté le silence tellement de fois, elle avait la mélodie presque entière dans sa tête, alors pourquoi ne parvenait-elle pas à composer ? Ça devrait pourtant être simple ! Alors pourquoi ?
Elle sentit ses yeux devenir humides, elle les garda fermés. Si elle les ouvrait, sa vue serait trouble, et alors elle réaliserait qu’elle pleurait, et elle ne voulait pas en prendre conscience. Elle ne voulait pas prendre conscience de sa faiblesse.
Les ouvrit, cependant, quand une main se posa sur son bras suspendu au-dessus de la feuille qui ne voulait pas se remplir.
Au travers des larmes qui ne coulaient pas, elle reconnut les yeux sombres au milieu d’un visage pâle de sa cousine. D’un geste brusque, elle envoyant valser au loin ses larmes. Merde, que faisait-elle là, celle-là ?
- Je suis désolée, tu… tu n’avais pas l’air bien, se justifia Clara.
Euterpe dégagea son bras froidement, et tourna le dos à la jeune femme, cherchant vainement à se concentrer sur un travail qu’elle ne parviendrait jamais à faire.
- Euterpe… soupira Clara, désespérée.
- Laisse-moi, cracha la muse.
- Euterpe, je voulais te parler.
- Pas moi. Laisse-moi, j’essaye de composer, mentit-elle, car à ce stade, elle avait déjà abandonné.
- Oh… Je croyais que tu ne faisais plus de musique, j’avais tort, alors.
Euterpe se figea. Les larmes qu’elle avait voulu refouler surgirent de nouveau au coin de ses yeux, menaçant de rouler le long de ses joues.
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ? hoqueta-t-elle.
Clara observa sa cousine qui lui tournait le dos. Elle ne pouvait pas voir son visage, mais sentait dans sa voix des larmes.
- Avant, tu jouais tout le temps. Il y avait toujours une de tes mélodies chez Papy et Mamie. Maintenant, c’est silencieux. Alors je me suis dit que peut-être, tu avais abandonné la musique.
- Je n’ai pas abandonné. Je n’y arrive plus… avoua-t-elle.
Elle se tourna, laissa entrevoir son visage couvert de larmes, qui ne cessaient de couler, comme inarrêtables. Elle se sentait tellement faible, tellement vulnérable, d’être aussi honnête, de la laisser lire en elle comme dans un livre ouvert, mais elle n’en pouvait plus. Elle avait cru être capable de composer, elle s’était préparée toute la semaine pour ça, et rien, un échec. Elle n’en pouvait plus. Juste plus.
- Hé, Euterpe, chut, ne… ne pleure pas.
Hésitante, Clara s’approcha de la jeune muse et passa un bras autour de ses épaules, puis un autre, finissant par l’enlacer. Elle lui frottait le dos, en réconfort. Elle avait énormément de peine pour elle. Elle avait beaucoup trop traversé, entre les morts de son frère et de sa mère le même mois, puis la séparation avec l’annonce d’une grossesse indésirée. Clara ne savait même pas si elle aurait eu la force de survivre à tout ça.
Puis elle fut soudainement rejetée. Euterpe, ayant pris conscience de la situation, s’était violemment ressaisie. Elle tourna à nouveau le dos à sa cousine, redevenue froide.
- Euterpe.
- Va-t’en, lança-t-elle simplement. S’il-te-plaît.
La jeune blonde soupira, dépitée et en colère contre elle-même d’avoir échoué à remonter le moral à sa cousine. S’avouant vaincue, elle se releva, épousseta l’arrière de son pantalon et effleura l’épaule d’Euterpe. Cette dernière frémit, mais se força à ne pas faire geste de recul, pour ne pas plus blesser Clara. Elle ne le méritait pas. Elle avait voulu bien faire.
De nouveau seule, elle déchira une à une les feuilles de musique.
Jamais elle ne parviendrait à composer un chant pour l’hiver.
Aaaaaah, c'est bientôt la fin, genre bientôt bientôt, il ne reste que 4 chapitres à partir de maintenant, dans un mois cette génération est finie, laissez-moi me mettre en PLS en paix svp.
Et surprise, qui veut des nouvelles du traître ? Parce que c'est chez Aelis que ça se passe : http://maeleo39.wixsite.com/ledesequilibre/d-chapitre-9